Remise en cause d’une donation d’usufruit de parts sociales pour fraude du donateur
L’action paulienne a été admise contre une donation de l’usufruit de parts sociales dès lors que celles-ci ne sont pas dénuées de valeur et peuvent donner lieu à une distribution de dividendes, ce qui caractérise un appauvrissement du donateur.

Rappel préliminaire
Le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (action dite « paulienne » ; C. civ. art. 1341-2). Cette action lui est ouverte notamment contre les actes par lesquels le débiteur s’est appauvri ou a diminué son patrimoine sciemment à son détriment.
Une donation peut ainsi être remise en cause (par exemple, Cass. com. 1-7-2020 no 18-12.683 ; Cass. com. 10-5-2024 no 22-15.257), y compris lorsqu’elle a été consentie en vue de porter préjudice à un créancier futur (Cass. com. 23-10-2007 no 06-16.344, cas d’un donateur ayant organisé la fraude à l’avance en vue de faire échec à des poursuites qu’il savait possibles).
Les faits
Alors qu’elle a été condamnée en qualité de caution à payer une banque, une personne fait donation à ses enfants de l’usufruit des parts qu’elle détient dans deux sociétés civiles immobilières (SCI). La banque demande que la donation lui soit déclarée inopposable pour fraude paulienne. Le donateur conteste : la donation ne l’a pas appauvri, puisque l’usufruit est sans valeur compte tenu du passif des SCI et de l’absence de dividendes distribués, les usufruitiers n’ayant droit qu’à ceux-ci.
Décision de la Cour de cassation
Jugé au contraire que la valeur positive de l’usufruit des parts sociales et, partant, l’appauvrissement du donateur étaient caractérisés : les SCI avaient réalisé des bénéfices sociaux au cours des exercices antérieurs à l’acte de donation et, en dépit de leur passif respectif, elles disposaient d’un patrimoine immobilier non négligeable à l’époque de la donation. Une distribution de dividendes futurs étant ainsi possible, il en résultait que le fait que les SCI n’en aient pas effectivement distribué était sans incidence sur la valeur du droit à les percevoir et que les parts sociales avaient une valeur qui ne pouvait pas être nulle.
À noter
En principe, les dividendes sont les fruits des droits sociaux (Cass. com. 5-10-1999 no 97-17.377 ; Cass. com. 10-2-2009 no 07-21.806) et, sauf exceptions, ils appartiennent à l’usufruitier (C. civ. art. 582 et 587). Il résulte de l’arrêt commenté que l’absence de distribution de dividendes ne fait pas obstacle à l’action paulienne contre une donation d’usufruit sur des droits sociaux dès lors qu’une telle distribution demeure possible.
Cass 1e civ. 30-4-2025 n° 22-20.929
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